Propos sur le Style et ma Pratique


Pour simplifier et par provocation le style, pour moi, serait l’art de sauter sur place ou plutôt pour les plus courageux l’art de tourner en rond autour d’une idée fixe, d’un sujet, d’une méthode, d’un procédé ou d’une technique, afin de vouloir y laisser sa trace pour l’éternité. En notre époque où l’on aime à classer, trier, coller dans des cases, l’idée de la répétition, de cet acte attendu et prévisible dans une convention définie nous rassure profondément.

Utilité des styles

Dans un monde frénétique et de ce fait menaçant, dans ce temps qui file sans retour, je suis comme beaucoup d’entre nous en recherche de jalons pérennes et les styles en art participent de ce réconfort.

Je pense que ce besoin d’un style affirmé que l’on aime à reconnaître aux maîtres renvoie à une exigence de repères ancrés dans une durée longue, dans un genre de passé immuable garant d’une relative permanence des choses.Qui aime vieillir dans les incertitudes? Ces styles certifiés, ces îlots de stabilité nous apaisent dans cette dérive inéluctable des éléments vers leur dégradation et leur disparition.

Manque de style et pratique

De mes créations en peinture il m’a souvent été reproché de ne pas avoir de style.A déclarer que je n’en ai aucun, je préfère plutôt dire que j’en ai une multitude, pratiquement un par projet – à l’opposédes peintres d’un seul tableau décliné à l’infini. Ces peintres que je pense être pourtant profondément indispensables, œuvrent à fixer les reliefs du paysage de la peinture.

Quant à moi, voyageur dilettante, j’en parcours les chemins au gré de mes réalisations. Que les deux approches simultanément coexistent. Il en faut et de l’un, et de l’autre. A chacun sa vérité et ses plaisirs. Exigeons donc de faire vivre ensemble ces différences – vraiment.

Si peu de temps devant moi et une telle multitude de projets déjà préparés en attente me font poursuivre ma voie sans envie aucune de me répéter, en me tenant à distance d’une vision “enmerdatoire” ( merci Duchamp ) de mon art. Parmi les dizaines de versions préparatoires que j’explore à chaque fois, je n’en choisis qu’une, celle qui restera et qui sans doute ne sera pas forcément la plus intéressante pour beaucoup ; mon goût et mes ressentis ne se recouvrant par expérience qu’assez rarement avec ceux des autres. ” Charbonnier est maître chez soi” dit-on et j’en use. Pour ce qui est des autres versions, généralement détruites, elles auront néanmoins servi à nourrir mon processus jubilatoire d’exploration.

Hormis les esquisses et variations préparatoires, chacune de mes réalisations abouties pourrait donner lieu, c’est vrai, dans une répétition mécanique des thèmes ou des techniques à un ” style ” donné mais, pour le moment, je ne me situe pas encore dans une telle logique et il m’a souvent été reproché de ne pas faire de séries rémunératrices, immédiatement reconnaissables par un public et possiblement reconnues par des professionnels (sous condition bien évidemment que la quantité soit au rendez-vous) dans un travail à la chaîne propre au tâcheron obstiné.

De bonnes âmes s’émeuvent de mon renoncement à vouloir m’affirmer de manière monolithique. Je revendique le droit à papillonner, à nourrir ma curiosité de tout ce qui m’entoure, à réagir viscéralement à des situations qui me heurtent ou me troublent quitte, dans un deuxième temps, pour de viles raisons de tranquillité, à m’autocensurer sur recommandations de certains dans la présentation au public de quelques unes de mes réalisations.

Ne pas devoir me contraindre à suivre des tactiques de positionnement qui maximiseraient ma visibilité au regard d’ exigences marchandes. Partager avant que de vendre. Je m’autorise cette attitude en sachant parfaitement que c’est vraiment un luxe que je m’octroie. Ma faible production du reste l’impose – on ne bâtit pas un commerce avec une clientèle conséquente sur un fond de quelques dizaines de tableaux .(abstraction faite des quelques centaines de “fantaisies dessinées” qui s’empilent dans mes classeurs).

Je crée donc des choses, moins pour laisser une quelconque trace après moi que pour tenter de me connaître – maintenant – et le moteur profond qui m’anime est celui de ma curiosité insatiable; curiosité à l’égard des autres mais surtout curiosité égoïste à l’égard de moi-même.

Je pourrais bien évidemment bramer à qui veut bien m’entendre que depuis ma naissance je me suis, en toute modestie quand même, auto prédestiné à éclairer le monde du génie de ma peinture. Que mon besoin impérieux de devoir m’exprimer se recouvre avec celui du public à se vouloir guidé dans les méandres du beau par celui qui détient les clefs de cette connaissance à savoir : MOI.

Bon, sérieusement, je me sens toujours être un puits de perplexité face au monde et la peinture est un prétexte: prétexte à rencontres – à rencontres avec les gens. Je pense que chacun d’entre nous est un univers à lui tout seul avec des portions communément partagées et c’est l’examen de ces communs chez les autres qui me donne des réponses sur moi-même à l’instar de l’œil qui pour se voir lui-même a besoin du miroir. Je souhaite que mes réalisations intriguent, qu’elles interrogent, qu’elles suscitent un intérêt minimal ou même pourquoi pas une indifférence féconde que j’aurai à cœur de dissiper, prélude indispensable à un partage réciproque d’univers.

Avec encore tant de choses à apprendre sur moi-même, avant de disparaître, en recherchant chez autrui ces visions complémentaires de l’existence tout en parvenant accessoirement à faire comprendre les miennes, j’ambitionne avant tout dans une approche égoïste je le répète de pouvoir simplement m’expliquer certaines de mes conduites.

Et pour régler définitivement mes petits problèmes d’égo, rien de tel que de faire appel de temps en temps à l’appréciation et au jugement d’un public non spécialisé  – démonstration –

Je travaillais sur un tableau intitulé «  ¥€$ / NO  »; réalisation qui se déclarait vouloir être universelle et donc très ambitieuse illustrant l’écrasante pression d’un argent dominateur capable de passer outre toute résistance. Je traînais mes croquis avec moi comme à l’accoutumé et je crayonnais là en attendant une amie. Arrive donc Martine, personnage solide et plein de bon sens, qui me demanda alors ce que je faisais. Je lui montrais une esquisse et la priais de me dire ce qu’elle voyait.

Prenant cérémonieusement ma feuille de travers elle récita doctement ; «  Zéro, Z, Y, C, et S   ».Je lui demandai « Alors Martine ça t’évoque quoi ? ».

Elle me répondit ; «  RIEN ». Elle m’avait tué. Je l’aurais embrassée.

Voilà, c’est pour de tels moments de grâce et de vérité que je peins.